Une poésie sans fin

S’il y avait un mot pour définir l’oeuvre inclassable et flamboyante d’Alejandro Jodorowsky, ce serait la poésie. Ainsi qu’il le déclare « Je ne crois pas en la révolution politique, je crois en la révolution poétique », ses actes poétiques qui mêlent performance, art, psychologie, magie, alchimie sont une thérapeutique à part entière. Le credo de Jodorowsky : l’art thérapie. Après la perte de son fils et un deuil douloureux, il décide de se consacrer à un art qui ne cherche pas à exalter le narcissisme de son créateur, mais un art qui va chercher dans les profondeurs. Un art pour expulser, pour guérir (Article Télérama « Ma patrie ce sont mes chaussures »)

Par l’acte poétique, Jodorowsky entend sublimer les pulsions, faire sauter les verrous et alléger l’être. Processus alchimique. La poésie, s’entend, n’est pas uniquement dans un livre -en vers ou en prose- que l’on trouverait au rayon « Poésie ». La poésie est partout, en chaque instant et sous diverses formes : c’est une respiration en dehors de ce qui est codé et rigidifié. C’est le chaos réprimé qui veut être vu et manifesté. C’est le caché qui appelle notre regard, l’instant qui demande à être vécu. Ni annexe ni secondaire, bien qu’exprimant le décalé, la poésie est un espace central. Devenir poète, c’est devenir vivant. Car oui, il en faut du chemin avant de se rendre vivant. On comprend dès lors la capacité de guérison de l’acte poétique.

Pour Jodorowsky, il s’agit « d’être soi-même et non pas ce que les autres veulent que l’on soit ». Selon lui, les névroses et le mal-être prennent leur source dans la répression héritée de nos conditionnements et de nos mémoires (société, famille, culture, religion).  C’est ce que C.G.Jung appelle le processus d’individuation, qui demande de se défaire des injonctions sociétales, parentales, éducatives, pour aller vers le centre de sa propre individualité, le Soi. C’est aussi le feu alchimique, qui mène à la découverte de soi à travers les transformations induites par les différentes étapes du Nigredo et de l’Albedo. Au fil de son parcours de vie et de ses expérimentations, Jodorowsky a créé sa propre méthode qu’il nomme « psychomagie » : c’est la mise en acte symbolique de blocages ou de traumatismes pour permettre de lever les obstructions.

 

 

Hautement poétiques et symboliques, les actes psychomagiques de Jodorowsky partent du principe que l’acte créateur est un acte libérateur. Même si ces actes ont cours depuis des millénaires dans les pratiques artistiques, spirituelles, alchimiques, chamaniques, la touche jodorowskyenne est sans nulle autre pareille, inclassable, géniale, exaltée. Cependant, la sauvagerie apparente des actes psychomagiques n’est jamais gratuite ou perverse, la finalité en est toujours la libération du vivant encellulé. Il déclare d’ailleurs à ce propos : « Poser un acte est une démarche consciente visant à volontairement introduire une fissure dans l’ordre de la mort que perpétue la société (…) L’acte poétique permet d’exprimer des énergies d’ordinaire refoulées ou dormantes en nous. L’acte non conscient c’est la porte ouverte au vandalisme, à la violence. L’acte poétique doit toujours être positif, aller dans le sens de la construction et non de la destruction » (Article « L’acte Poétique vu par Alejandro Jodorowsky »). De fait, les actes de psychomagie doivent être impressionnants afin de remuer l’inconscient et créer la fissure. Dans le film « Psychomagie, un art qui guérit » 2019, on peut découvrir la méthode alchimico-poétique de Jodorowsky avec des personnes qui ne sont pas des acteurs, mais des êtres réellement en souffrance disposées à pratiquer les actes symboliques du maître manifesteur, qui ne sont autres que des actes de feu purificateur. Ainsi que Gaston Bachelard le précisait dans son Psychanalyse du Feu « Le feu couve dans une âme plus sûrement que sous la cendre », j’aime à penser qu’Alejandro Jodorowsky, en dévoilant les âmes, est le génie du feu.

Pour finir, une vidéo électro-choc qui ramène à l’essence de la Vie