(Traduction française d’un extrait de la conférence ‘Eros And The Eschaton’ de Terence McKenna en 1994)

J’ai écrit un livre qui s’appelle « Le Renouveau Archaïque ». L’idée que j’explore dans ce livre c’est que nous sommes tombés malades en suivant la voie du rationalisme débridé, de la domination masculine, de l’attention portée à la seule surface visible des choses, du pragmatisme, de l’intérêt financier. Nous sommes tombés très, très malades. Et le corps politique, comme tout corps lorsqu’il se sent malade, commence à produire des anticorps, ou des stratégies pour surmonter le mal-être. Le XXe siècle est un immense effort d’auto-guérison. Des phénomènes aussi divers que le surréalisme, le piercing, la consommation de drogues psychédéliques, la permissivité sexuelle, le jazz, la danse expérimentale, la culture rave, le tatouage… la liste est infinie. Ils représentent divers styles de rejet des valeurs linéaires. La société tente de se guérir par un renouveau archaïque, par un retour aux valeurs archaïques. J’applaudis tout cela car il s’agit d’un désir de retour à ce que le corps ressent – ​​ce qui est authentique, ce qui est archaïque – et lorsqu’on décortique ces pulsions archaïques, au cœur même de toutes ces pulsions se trouve le désir de revenir au pouvoir magique du ressenti.

Et au cœur de cette impulsion se trouve le chaman : défoncé, enivré par les plantes, parlant avec les esprits protecteurs, dansant au clair de lune, vivifiant et invoquant un monde de mystère conscient et vivant. Voilà ce qu’est le monde. Le monde n’est pas un problème non résolu pour les scientifiques ou les sociologues. Le monde est un mystère vivant : notre naissance, notre mort, notre être dans l’instant présent – ​​ce sont des mystères. Ce sont des portes ouvertes sur des perspectives inimaginables d’exploration de soi, de ré-enchantement et d’espoir pour l’entreprise humaine. Et notre culture a tué tout cela, nous l’a enlevé, nous a transformés en consommateurs de produits de mauvaise qualité et d’idéaux encore plus médiocres. Nous devons nous en éloigner ; et le moyen d’y parvenir est de revenir à l’expérience authentique du corps – et cela implique de nous autonomiser sexuellement, de nous enivrer, d’explorer l’esprit comme un outil de transformation personnelle et sociale.

Il est tard ; le temps presse ; nous serons jugés très sévèrement si nous ne réagissons pas. Nous sommes les héritiers de millions et de millions d’années de vies bien vécues et d’adaptations réussies aux conditions changeantes du monde naturel. Désormais c’est à nous de relever le défi, à nous les vivants, afin que les êtres à naître puissent avoir un endroit où poser leurs pieds et un ciel sous lequel marcher ; et c’est là tout l’enjeu de l’expérience psychédélique : prendre soin, responsabiliser et construire un avenir qui honore le passé, qui honore la planète et qui honore le pouvoir de l’imagination humaine. Rien n’est plus puissant, rien n’est plus capable de transformer la planète que l’imagination humaine. Ne la vendons pas sans détour. Ne nous prostituons pas pour des idéologies idiotes. Ne cédons pas notre pouvoir aux plus petits d’entre nous. Au contraire, reconnaissons notre place au soleil et avançons vers la lumière. Les outils sont là ; le chemin est connu ; il suffit de tourner le dos à une culture devenue stérile et morte, et d’avancer vers un monde vivant où le pouvoir est à l’imagination.
― Terence McKenna, Eros et l’Eschaton – Terence McKenna

JL : Puisque nous explorons les cosmologies existantes, comment voyez-vous l’esprit Christique ? Je parle de l’esprit Christique en tant que l’esprit du Cœur.
TM : C’est un sujet qui me pose problème. Je pense que si l’on veut évoquer l’ouverture du cœur, la renaissance de la Déesse serait une métaphore plus pertinente. Le problème du Christianisme, c’est qu’il est la force la plus réactionnaire de l’histoire de l’humanité. Je ne sais même pas quelle est la deuxième, tellement elle est indépassable. Et je crois que la destruction du paganisme a probablement été le plus grand tort jamais causé à l’évolution de la psyché humaine. La répression de la sorcellerie est en réalité la répression du savoir botanique, du chamanisme. Je vois donc le Christianisme comme partie prenante de ce jeu de dupes paternaliste.

JL : À quoi ressemble la vie pour une personne pleinement réalisée ?
TM : Eh bien, je ne me considère certainement pas comme tel, alors je ne peux qu’esquisser une réponse. Pour moi, la vie est pleine d’espoir. Le potentiel humain est immense. Nous n’avons aucun problème que nous ne puissions résoudre en nous y consacrant avec un esprit ouvert. Or, voyez-vous, la théorie actuelle de la résolution de problèmes est que nous devons résoudre tous nos problèmes avec des solutions rentables. Et il n’est peut-être pas possible de résoudre les problèmes du XXe siècle tout en gagnant de l’argent. Mais si nous sommes prêts à mettre cette idée de côté, alors l’avenir de l’humanité apparaît infiniment radieux, car l’esprit humain apparaît comme un canal bien plus ouvert vers Dieu que quiconque, étranger à l’expérience psychédélique, pourrait l’imaginer. Et Dieu apparaît comme une force bien plus bienveillante et impliquée dans les affaires humaines que l’image que nous avons héritée des religions occidentales. Pourquoi la prise d’un composé psychédélique naturel comme la psilocybine devrait-elle vous donner de l’espoir ? C’est parce qu’elle vous connecte au véritable réseau de valeurs et d’informations inhérent à la planète, aux valeurs de la biologie, aux valeurs de l’organisme, plutôt qu’à celles du consommateur.

JL : Quelles sont ces valeurs planétaires ?
TM : Eh bien, la vie vient en premier. La mort n’est pas à craindre ; elle fait partie intégrante du processus. La sexualité est la gloire de l’expérience vivante, et ainsi de suite. Ce sont en fait les valeurs humaines, bienveillantes et respectueuses de l’environnement que tentent de véhiculer le Nouvel Âge, le mouvement écologiste, etc. Le problème, c’est que ces mouvements politisent tout d’emblée, transforment tout en agendas, font de l’opposition l’ennemi, puis se lancent dans la politique primale à l’ancienne qui nous a conduits dans cette impasse.

JL : La politique patriarcale ?
TM : La politique patriarcale. La politique de la propagande. La politique de l’argent. La politique du désespoir. Je suis un militant politique, mais je pense que le premier devoir d’un militant politique est de devenir psychédélique. Sinon, on ne prend pas en compte l’ensemble du champ d’action. Le problème est le suivant : il faut réintégrer l’importance des valeurs humaines dans le débat sur les priorités politiques. On a tenté de le faire dans les années 60 ; aujourd’hui, on présente comme une plaisanterie l’idée que des gens puissent avoir un jour affirmé que l’amour est la solution. C’est inconcevable dans le contexte actuel.

― Terence McKenna, The Archaic Revival | Speculations on Psychedelic Mushrooms, The Amazon, Virtual Reality, UFOs, Evolution, Shamanism, The Rebirth of the Goddess and the End of History,  1991 (Traduction française d’un extrait « The Archaic Revival », 1991. Cette interview, réalisée par Jay Levin, est parue dans L.A. Weekly, du 20 au 26 mai 1988)

Je crois que c’est la profondeur de la relation d’un groupe humain à la gnose de l’esprit végétal, la collectivité gaïenne de la vie organique, qui détermine la force de son lien avec l’archétype de la Déesse et, par conséquent, avec le style d’organisation sociale partenariale. La dernière fois que le courant dominant de la pensée occidentale a été rafraîchi par la gnose de l’esprit végétal, c’était à la fin de l’ère hellénistique, avant que les mystères d’Éleusis ne soient finalement supprimés par des barbares chrétiens illuminés (Wasson, 1978). L’Église de la fin du Moyen Âge, qui organisa les grands bûchers de sorcières, était très soucieuse que tout le mérite des épisodes de magie et de désordre soit attribué au diable ; c’est pourquoi elle a supprimé la connaissance de plantes telles que le datura, la belladone et l’aconit, ainsi que le rôle qu’elles jouaient dans les rassemblements et activités nocturnes des praticiens de cet art (…) Ma conclusion est que franchir la prochaine étape de l’évolution, le renouveau archaïque, la renaissance de la Déesse et la fin de l’histoire profane, sont des projets qui contiennent implicitement en eux-mêmes la notion de notre réimplication avec l’esprit végétal et de son émergence. Sans une telle relation aux exophéromones psychédéliques régulant notre relation symbiotique avec le règne végétal, nous nous trouvons en dehors de toute compréhension du but planétaire. Et cette compréhension pourrait bien être la contribution majeure que nous puissions apporter au processus évolutif. Revenir au sein du partenariat planétaire signifie troquer le point de vue de l’ego contre la compréhension translinguistique intuitive de la matrice maternelle. ― Terence McKenna, The Archaic Revival