© Hannah Close | Advaya
(Traduction française de l’article « erotic entanglements, living through eros & touch » d’Hannah Close)

L’érotisme est largement mal compris dans la culture occidentale. Souvent synonyme de ce qui est explicitement sexuel et donc pornographique, il a été relégué dans un coin sombre de notre psyché culturelle, avec les envies pécheresses, les pulsions lubriques et les tabous que nous entretenons sur notre nature intrinsèquement charnelle et libidinale. 

Citons l’écrivaine féministe Audre Lorde dans Uses of the Erotic, The Erotic as Power : « L’érotisme a souvent été mal défini par les hommes et utilisé contre les femmes. Il a été transformé en une sensation confuse, triviale, psychotique, plastifiée. Pour cette raison, nous nous sommes souvent détournés de l’exploration et de la considération de l’érotisme comme source de pouvoir et d’information, le confondant avec son contraire, le pornographique. Mais la pornographie est un déni direct du pouvoir de l’érotique, car elle représente la suppression du vrai sentiment. La pornographie met l’accent sur la sensation sans le ressentir ».

 

Alors que le dieu grec Eros a été dépeint comme un agent de promiscuité du désir sexuel, il est aussi un arbitre du désir au-delà du sexuel, et finalement un arbitre de l’amour (et donc de la relation – notez que je pointe le désir comme un moyen d’être en relation). Dans une « écologie érotique », comme l’a souligné Andreas Weber, l’éros concerne autant les rapports sexuels dans le sens de forger des liens aimants et exaltants que l’interpénétration explicite des corps. Ces actes conjonctifs ne s’excluent pas mutuellement parce que l’un serait physique et l’autre métaphysique (pour le dire crûment). Plutôt ils co-apparaissent ou co-émergent, comme tant d’autres aspects de la réalité traversée par la sphère vivifiante de l’esprit imbriqué dans la matière.

Comme le dit Andreas Weber, « l’éros contient le sexuel, mais il est beaucoup plus vaste que le sexuel ». Cela expliquerait pourquoi certains d’entre nous pensent que notre relation avec l’océan est érotique, et pourtant aucun bébé hybride océan-humain n’a encore été annoncé. Cela dit, dans la perspective de l’écologie érotique, nous procréons avec l’océan, tout comme nous procréons avec les arbres et les autres êtres biotiques. C’est à dire que nous donnons vie et sommes mis en vie par cet échange de corps, par exemple par l’échange de carbone, de sodium, d’hydrogène et ainsi de suite. Lorsque nous expirons, « une partie de notre substance carbonée est absorbée par l’arbre », et lorsque nous inspirons, « nous absorbons le corps de l’arbre par son propre oxygène expiré ». Comme l’écrit Anne Carson dans Eros the Bittersweet : « Quand je te désire, une partie de moi est partie ». Ce n’est pas conceptuel, c’est matériel (bien qu’en fin de compte, ce soit les deux).

« L’érotique, c’est être fécond, productif » dit Andreas. Lorsque nous nous engageons dans la réciprocité avec d’autres êtres, la productivité prend un sens totalement incongru et contraire à la hustle culture, cette culture de l’agitation et de l’ultra performance permanente. Malgré notre implication dans la matrice de la culture consumériste et de l’abstraction capitaliste, nous ne serions pas en vie sans notre échange réciproque et érotique continu avec la « chair du monde ».

Cela étant, il serait intéressant de discuter des raisons pour lesquelles nos corps – nous en tant que corps avons du mal à « nous sentir vivant » alors que nous nous engageons avec la technologie moderne – il y a tout simplement moins de boucles de rétroaction érotiques et d’opportunités tactiles et incarnées avec nos appareils métalliques. Les iPhone ne nous nourrissent pas d’oxygène, ils endommagent notre vue et notre ouïe, provoquent des tensions dans nos mains et atrophient notre acuité mentale. Beaucoup d’entre nous ne réalisent pas que nous retenons notre souffle lorsque nous interagissons avec la technologie, peut-être comme un moyen de nous dissocier de la réalité déprimante de cet échange sans contrepartie. Je ne suis pas ici pour promouvoir le luddisme, mais cela vous y fera certainement penser…

Ainsi, les relations écologiquement intégrantes sont intrinsèquement fertiles. La vie naît en vertu des relations entre les sujets, les personnes, les êtres. Par conséquent, les relations (saines) donnent naissance à la vie. Quand nous « faisons » l’amour, nous faisons la vie. Et je ne parle pas ici de faire des bébés. Si nous observons la nature, nous pouvons constater qu’elle soutient et reconstitue la vie en permanence, il n’est donc pas erroné de suggérer que l’amour puisse être impliqué dans cette dynamique. Il ne s’agit pas d’anthropomorphiser la « nature » ou de projeter notre vision limitée de la romance sur/en elle, mais plutôt de nourrir la correspondance entre notre intériorité et celle du monde plus large, dont notre intériorité fait partie, et dont une partie informe notre intériorité.

Je voudrais encore parler de la mort et de l’éros (un sujet tel un océan insondable!), mais c’est un gribouillis de serviette, et je terminerai donc avec ce magnifique sentiment, cité par Andreas Weber dans son livre Matter & Desire: An Erotic Ecology, du poète mexicain Octavio Paz :

« L’érotique peut être considéré comme la composante corporelle de l’expérience poétique »   (El erotismo es una poesía corporal, la poesía es un erotismo verbal)

 

– Hannah Close hannahlclose.comecology-love.com.

“And my heart beat faster as I understood that all emotional encounter is inevitably transformers. All relationships are transformations that leave both me and world change by one another. Encounters in which one penetrates the other and leaves it altogether different than it was before. Everything changes when we engage with it in emotional contact. No encounter leaves us the same. We cannot be neutral. We are always already swept up.”

"Et mon cœur a battu plus vite lorsque j'ai compris que toute rencontre émotionnelle était inévitablement transformatrice. Toutes les relations sont des transformations qui me changent, moi et le monde. Des rencontres où l'un pénètre l'autre et le rend différent de ce qu'il était auparavant. Tout change lorsque nous nous engageons dans un contact émotionnel. Aucune rencontre ne nous laisse intacts. Nous ne pouvons pas être neutres. Nous sommes déjà -et toujours- emportés."

— Andreas Weber, biologiste et philosophe