© 1987 Éditions HarperSanfrancisco

Extraits Chapitre I. LA CULTURE PREMIERE DES FEMMES – Marx et le matriarcat WOMEN’S EARLY CULTURE : BEGINNINGS – Marx and the Matriarchy  — Les extraits de cet ouvrage ont été traduits ici par mes soins, aucune traduction française n’étant disponible à ce jour.

Le patriarcat divise la vie en catégories supérieures et inférieures, en opposant systématiquement l’esprit contre la nature, ou l’esprit contre la matière – et par conséquence, dans ce symbolisme dualiste aliéné, « l’esprit/le mental » supérieur est considéré comme masculin (et/ou blanc), tandis que la « nature/la matière » inférieure est considérée comme femelle (et/ou noire).

Ce symbolisme dualiste erroné découle d’un ordre imposé par la domination patriarcale. Avec une telle psychologie phallique, les hommes peuvent alors parcourir la terre en violant la nature, en exploitant les ressources et le travail humain, en manipulant délibérément l’ordre naturel pour l’améliorer avec des inventions techno-mécaniques et des « objectifs progressistes ». Dans le patriarcat, l’homme se sépare de la terre, imitant un dieu céleste distant et déconnecté de sa propre Création, et cette séparation intellectuelle lui permet de se sentir libre de dévaster le monde naturel sans qu’il prenne conscience de sa propre appartenance à un écosystème dont il fait partie intégrante. Il l’exploite totalement ignorant qu’il appartient à un Grand Tout. Pour le profit de quelques-uns et la douleur existentielle de beaucoup, le patriarcat existe en détruisant l’holisme originel.

Monica Sjöö, devant une de ses peintures consacrées à la Déesse-Mère.

Une véritable politique basée sur l’humain se doit d’étudier toute l’histoire des religions et des croyances spirituelles du monde. Cette politique doit essayer de « faire retour » ou bien d’aller vers des systèmes spirituels en harmonie avec les projets d’une vie communautaire créative.

Car c’est précisément ce qui manque sous le régime des deux « puissances mondiales » concurrentes : une vie communautaire créative. Les deux systèmes – capitalisme occidental et communisme soviétique – sont basés sur le refus de la célébration communautaire. En effet, la célébration est un jeu de l’esprit et il ne peut y avoir de « profit » dans la vie communautaire. Car l’évolution humaine, la créativité humaine sont un vrai miracle et un fait cosmique. Nous avons donc besoin d’une politique qui participe à cette aventure organique et spirituelle. Ni le dieu du dollar, ni le dieu de l’État, ni aucun des dieux aliénants patriarcaux dont ils descendent – ne permet cette participation entre les hommes.

Le programme du patriarcat : séparer la production matérielle de l’expérience spirituelle, la science de la magie, la médecine de la connaissance des plantes et des cycles, la sexualité du sacré, l’art de l’artisanat, l’astronomie de l’astrologie, le langage de la poésie – et de placer la connaissance « spécialisée », abstraite et mécaniste entre les mains d’une élite masculine privilégiée organisée en professions, hiérarchies et classes. Réduire la danse extatique des muscles, du sang et de l’âme aux chaînes de montage des usines, aux calendriers de production et au produit national brut.


Chapitre IV La culture patriarcale et la religion | Déni de la Mère : déni des êtres humains (IV. PATRIARCHAL CULTURE AND RELIGION | Denial of the Mother : Denial of the People)

Au cours des 4000 dernières années de patriarcat, il y a eu environ 300 ans de paix relative. Sous le règne du Christ, le soi-disant « Prince de la paix », le monde occidental a été en guerre permanente contre ses « ennemis » et en lui-même. De la chrétienté ont émergé des doctrines de désespoir et d’aliénation, des théories de « races supérieures » et de « sang inférieur », une réduction quotidienne de la vie à une vision mécaniciste inepte, des paranoïas grotesques à propos de « l’inconscient », une peur farouche du monde et de tout ce qu’il contient, le tout jugé comme intrinsèquement mauvais. Plus encore, le christianisme a alimenté la haine et la peur des hommes envers les femmes, en désignant ces dernières comme responsables de leur existence misérable et tortueuse.

Comment nos ancêtres auraient-ils pu survivre et évoluer à travers plus de 500 000 ans de vie humaine sur terre s’ils avaient vécu la vie d’une manière aussi laide ?

Robert Briffault – The Mothers : the matriarchal theory of social origins 1931

Les êtres humains sont liés les uns aux autres par la Mère. Nous sommes ses enfants, nous partageons un lien charnel et de sang avec toute la Création, nous sommes tous faits de manière identique : de sa chair, de son désir, de ses rêves. Sous le patriarcat, ce lien de sang sacré est rompu. Notre lien de chair devient la source de tous les maux. Sous le judaïsme, le christianisme, l’islam et le communisme d’État – les quatre principales religions patriarcales – le besoin de contrôler ou de détruire la chair de l’autre a été historiquement plus forte que le désir de cette soi-disant fraternité. Et ensuite on prétend que le succès de la guerre et l’échec de la paix font partie de la « la condition humaine » – mais il s’agit là uniquement de la condition des hommes sous le patriarcat.

« Fathering the Unthinkable: Masculinity, Scientists, and the Nuclear Arms Race » Brian Easlea 1983

Sous le régime patriarcal, il y a la conviction profonde que toute vie a une utilité et qu’elle est créée afin que les hommes l’utilisent. Et ce que les hommes du patriarcat considèrent comme utilisable est aussi considéré comme méprisable. Finalement, nous constatons que l’explosion atomique ou le fait nucléaire est l’identification finale de l’homme du patriarcat avec le Dieu Soleil, l’anéantissement final de la matière/de la mère – et que c’est là le but implicite de toute religion patriarcale.

Et s’ils ne peuvent contrôler en totalité la Vie, alors ils choisiront de la détruire. Le technicien nucléaire est le prêtre ultime de la religion du Père, nous livrant un champignon sacrilège qui offre une mort froide et mécanique – sans grâce, sans espoir, sans renaissance et sans immortalité spirituelle (pour plus d’informations sur la relation entre la pensée patriarcale et l’holocauste nucléaire, lire Brian Easlea « Fathering the Unthinkable. Masculinity, Scientists and the Nuclear Arms Race » – « Père de l’impensable. Masculinité, science et course aux armements nucléaires » ,1983).

L’identification exclusive au père est une façon de nier l’interdépendance avec la mère – qui est toujours en définitive et par extension, le lien à la Terre Mère.

L’église chrétienne sans relâche utilise des mots comme « pieux »,  « humble » et « doux » pour décrire le caractère du Christ, cependant de tels mots ont occulté la véritable agressivité historique de l’Église contre les corps et les esprits humains. Notons que le Christ Pantocrator orthodoxe oriental a toujours été décrit comme féroce et exigeant; pourtant dans tout l’Empire chrétien, les concepts d’humilité et de douceur ont été systématiquement utilisés pendant des siècles pour conditionner la soumission des masses, tandis que les élites dirigeantes avec arrogance et agressivité ont saisi les trésors de la terre pour eux-mêmes.

Ainsi que l’écrit John G. Jackson : « L’histoire de l’âge sombre en Europe est le théâtre d’une chronique d’horreurs presque sans parallèle dans l’histoire humaine; et le plus tragique reste l’histoire de la conversion de l’Europe au christianisme. »

© Nancy Spero

 John G. Jackson cite l’anthropologue français Robert Briffault :  » Si l’histoire complète de la conversion de l’Europe au christianisme pouvait être écrite, elle présenterait une histoire d’horreur plus épouvantable que celle de la christianisation de l’Espagne par l’Inquisition. La religion chrétienne a été imposée aux peuples d’Europe à peu près de la même manière qu’elle a été imposée au Mexique et au Pérou, conversion au cours de laquelle Las Casas estime que douze millions de personnes ont péri, ont été massacrées, brûlées vives et torturées. « 

Ceux qui ont survécu à la boucherie de la « conversion » chrétienne ont été réduits en esclavage ; John G. Jackson poursuit : « L’Église a non seulement perpétué l’esclavage, mais l’a créé là où il n’avait jamais existé sous le droit romain. L’Évêque Rathier de Vérone au Xème siècle, a même déclaré : « Dieu a gracieusement destiné à l’esclavage ceux pour qui Il a vu que la liberté ne convenait pas ».

Sur le plan politique, je définis donc les matriarcats plutôt comme des sociétés égalitaires basées sur le consensus. Au contraire, les patriarcats sont par principe des sociétés de domination même quand ils se présentent comme des démocraties formelles. (...) De part leur politique axée fondamentalement sur la paix, les sociétés matriarcales sont des modèles importants pour les sociétés futures, justes et pacifiques, au-delà du patriarcat.  — Heide Goettner-Abendroth, philosophe et anthropologue