© 1987 Éditions HarperSanfrancisco
Figurine en faïence de la déesse aux serpents (Collection du Palais de Knossos, Crète) montrant la ceinture de serpent noué et la tête de type Uraeus, datée d’environ 1600 av. J.-C.

Extraits Chapitre I. LA CULTURE PREMIERE DES FEMMES – Le Serpent Cosmique | WOMEN’S EARLY CULTURE : BEGINNINGS – The Cosmic Serpent — Les extraits de cet ouvrage ont été traduits ici par mes soins, aucune traduction française n’étant disponible à ce jour.

Dans les temples consacrées à la Déesse-Mère du Néolithique (N.D.L.R. période comprise entre 6000 et 2200 avant J-C), on trouvait de grands serpents vivants. Les peintures murales, bas-reliefs et statues représentaient la Déesse avec des serpents enroulés sur ses bras levés au ciel, ou enveloppant son corps. Dans toutes les cosmogonies du monde, la Déesse-Créatrice était associée au serpent sacré. En ancienne Égypte, on la représentait sous la forme de la Déesse-Cobra. « Les cultures néolithiques de l’Égypte vénéraient deux Déesses, la Déesse-Cobra au nord (Ua Zit/Ouadjet) et la Déesse-Vautour au sud (Ne-khebt/Nekhbet). Les deux Déesses furent déchues (…) et leurs emblèmes ornaient désormais la tête des rois » (Merlin STONE, Quand Dieu était femme, 1976). La déesse égyptienne Isis était également associée aux serpents et considérée comme la Déesse-Serpent.

Déesse Isis-Thermoutis, Musée du Louvre, Paris

En Australie, la Grande Déesse aborigène Eingana (appelée aussi « Serpent du Temps du Rêve ») créatrice de toutes choses, est parfois représentée comme trois sœurs, ou en présence du Serpent Arc-En-Ciel. Au Venezuela, le mythe des fondations du peuple Yaruro relate : « Au commencement, il n’y avait rien. Puis Puana, le serpent, est venu en premier, il a créé le monde et tout ce qu’il contient. Kuma (Déesse-Mère) était la première personne à peupler la terre. Tout est né de Kuma, et tout ce que font les Yaruros a été établi par elle »


© Olaf Hajek

Alors que nous ne pouvons que constater la récurrence universelle de la Déesse-Mère et de son serpent sacré, et que nous nous remémorons l’ancienne Déesse Noire d’Afrique (la sorcière noire avec le serpent dans son ventre) nous pouvons alors imaginer la force d’imprégnation d’un tel élément cosmogonique dans l’esprit humain.

De la même façon, nous pouvons dès lors entrevoir les raisons pour lesquelles les religions patriarcales se sont entièrement basées sur l’anéantissement de la déesse/du serpent, décrit déjà par les Babyloniens comme un « chaos primitif » – conception reprise par la suite par les Hébreux, inscrite dans la Genèse biblique, dans laquelle Eve et le serpent deviennent le symbole du mal ontologique et du péché. C’est ainsi que les patriarches hébreux ont tenté d’annihiler la religion des origines, la qualifiant de « diabolique », tout en dépeignant la Déesse Mère et sa vénération des serpents comme la source, non pas de toute vie, mais de toute malfaisance. Dans la mesure où ils sont effectivement parvenus à la destruction de cette ancienne religion de la nature, les peuples occidentaux convertis ont perdu leur mémoire païenne et la véritable signification de la Déesse-Mère et de son serpent sacré.


Serpent Arc-en-Ciel « Wagyl » des aborigènes d’Australie, compagnon de la Déesse-Mère https://matricien.wordpress.com/matriarcat-religion/paganisme/serpent-arc-en-ciel/

Rappelons que dans les cosmogonies des religions de la nature, le serpent était avant tout symbole sacré de vie éternelle (à l’instar de la Lune) ; à chaque mue, il perdait sa peau pour renaître et se régénérer (N.D.L.R. un serpent peut effectuer jusqu’à 10 mues par an). Ce processus était alors perçu comme la continuité cosmique dans le changement naturel des choses, la continuité de l’esprit à travers les différents changements d’états physiques. Se glissant à l’intérieur des trous et des cavernes de la terre, le serpent symbolisait le monde souterrain et la demeure des morts attendant la renaissance. Ses ondulations évoquaient les courants serpentins des eaux souterraines. Le cheminement du serpent terrestre était représentatif du flux d’énergie terrestre ; le cheminement du serpent céleste était représentatif du jet sinueux d’étoiles dans le bras spiral galactique, la Voie Lactée.

A travers le symbolisme du serpent, nous sommes donc en présence de connexions très anciennes et mystérieuses avec de fortes résonances parapsychiques : spirales, eaux et marées, menstruations, lune, morts, pouvoirs oraculaires, guérison psychique, bisexualité, courant tellurique magnétique, matrice, étoiles, immortalité, et la vie toujours renouvelée.


« Les Arabes m’appellent Kahina, la sorcière. Ils savent que je vous parle, et que vous m’écoutez. Ils s’étonnent de vous voir dirigés par une femme. C’est qu’ils sont des marchands d’esclaves. Ils voilent leurs femmes pour mieux les vendre. Pour eux, la plus belle fille n’est qu’une marchandise. II ne faut surtout pas qu’elle parle, qu’on l’écoute. Une femme libre les scandalise, pour eux je suis le diable  » (Kateb Yacine, Dihya)

En Afrique, les « serpents sortant des narines » indiquaient des pouvoirs de clairvoyance, liés au troisième œil (la glande pinéale en arrière de la cloison nasale) ; la chevelure de serpent de Méduse avait la même signification : il y aurait eu une Méduse légendaire en Afrique du Nord, reine des amazones dans la région de l’actuel Maroc-Algérie (N.D.L.R. il n’est pas précisé par les auteurs le nom de cette reine à la chevelure de serpents. Il est probable qu’il s’agisse de la déesse lybienne Neith pouvant correspondre à la déesse Tanit, toutes deux berbères (=amazigh). Soulignons au passage qu’une autre reine amazigh légendaire plus récente (7ème siècle), Dihya connue aussi sous le nom de Kahina -dite la sorcière, était réputée pour avoir des dons de clairvoyance, al-Kāhina signifiant « la devineresse » ou « la prophétesse ». Née dans les Aurès en Algérie, guerrière acharnée et fin stratège, gardienne de la terre sacrée, dernière reine amazigh, elle lutta jusqu’à son dernier souffle contre l’invasion et la conquête musulmane qui amenait la religion patriarcale.

« Toutes ces religions qui n’en sont qu’une servent des rois étrangers. Ils veulent nous prendre notre pays. Les meilleures terres ne leur suffisent pas. Ils veulent aussi l’âme et l’esprit de notre peuple. Pour mieux nous asservir, ils parlent d’un seul Dieu. Mais chacun d’eux le revendique exclusivement pour lui et pour les siens. Ce Dieu qu’on nous impose, de si loin par les armes, n’est que le voile de la conquête. Le seul Dieu que nous connaissons, on peut le voir et le toucher : La terre libre d’Amazigh ! » — Reine Dihya (Parce que c’est un femme, La Kahina ou Dihya, Kateb Yacine, 1972)


Merlin Stone précise que le venin de serpent (injecté à des personnes préalablement immunisées) possède des qualités hautement hallucinogènes, le venin de serpent étant chimiquement similaire à la mescaline (issue du peyotl) ou à la psilocybine issue des champignons hallucinogènes. Parmi les effets psychotropes du venin de serpent, il serait possible d’expérimenter la clairvoyance, les pouvoirs psychiques, une créativité accrue, des visions prophétiques et des ouvertures de conscience sur les mythes de création et les principes primordiaux de l’existence humaine.

Merlin Stone fait remarquer que les serpents gardés dans l’enceinte des sanctuaires oraculaires de la Déesse n’étaient peut-être pas juste des symboles, mais de réels « instruments » par lesquels il était possible d’accéder à des expériences de révélation divine. Dans tous les cas, il est certain que les anciennes femmes chamanes du monde entier avaient connaissance des vertus psychotropes du venin de serpent.

© Nancy Spero

Rudolf Steiner, fondateur du mouvement anthroposophique , évoquait le pouvoir clairvoyant inné de cette ancienne humanité, un pouvoir perdu par « l’homme moderne », qui ignore désormais son lien primordial avec la Vie et ses énergies cosmiques. Réduit à un simple mécanisme, à un appareil d’enregistrement physique, l’homme de la modernité évolue dans un vide intérieur et un sentiment d’aliénation totale. Car c’est précisément la région astro-lunaire, le monde psychique de la perception suprasensible — appelé par les occultistes « le serpent astral » — que le patriarcat nous a exigé de détruire et de vaincre au nom d’un système abstrait, statique, asexué, hyper-rationnel et mécaniste.

Sur le plan politique, je définis donc les matriarcats plutôt comme des sociétés égalitaires basées sur le consensus. Au contraire, les patriarcats sont par principe des sociétés de domination même quand ils se présentent comme des démocraties formelles. (...) De part leur politique axée fondamentalement sur la paix, les sociétés matriarcales sont des modèles importants pour les sociétés futures, justes et pacifiques, au-delà du patriarcat.  — Heide Goettner-Abendroth, philosophe et anthropologue